526 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE
mon père, quand je l'observais la nuit, alors qu'on me croyait endormi, étaient accompagnées d'extensions de bras, de craque- ments dans les phalanges de ses doigts, de profondes aspirations, de sons murmurants qui semblaient s'échapper du silence comme, de la ruche, les abeilles de Virgile, tnagnis clamor'tbm. Mon Père affermissait sa vie religieuse par la prière, comme un athlète sa vie physique par la gymnastique respiratoire et de vigoureuses frictions. "
Ah ! l'homme qui priait ainsi, avec cette intrépidité, cette colère, je crois l'entendre élever la voix, se tournant vers son fils, pour lui dire : Et toi, faible cœur ! qui as accepté la défaite...
Certes, je ne méconnais nullement ce qu'il y a de douloureux dans les angoisses de l'enfant menacé ; de légitime et de néces- saire dans son abstention, dans sa rupture. Je comprends ses répugnances et ses aspirations, son grand amour de la vie qui est notre vie, plaisirs ou peines, son besoin d'un commerce aisé avec ses semblables. J'épouse l'instinct de révolte et de nou- veauté qui l'aide à se préserver, à lentement se faire jour jusqu'à la vie sociale, à réaliser ce que l'auteur appelle " l'affermisse- ment de son individualité ". Mais je cherche à embrasser le drame que M. Gosse, avec toute sa bonne foi, nous présente malgré tout d'un certain point de vue. Et me voici tenté de demander à ce vieillard amer un secret qu'il n'a pas livré, de l'interroger lui-même face à face, afin de découvrir une expres- sion que son " portrait " n'a pas retenue. Voici qu'il lève vers moi ce visage " plein d'un amour désolé " qu'il détournait de son enfant.
Je vois la fuite éperdue d'un fils devant son père. Le fils est délicat et sensible. La foi du père est rude et sans merci. Elle exige tout l'être. L'enfant ne veut grandir que " par le loisir ". Il a peur. Il fuit la tristesse, l'affliction, la malédiction qui déjà se resserrent autour de sa vierge existence ; il quête, en vain, dans un cercle désert, quelque objet, quelque visage, quelque parole qui soit aimable à son cœur...
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