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LES POEMES 509

permettra d'être gênés, en attendant, par l'attitude qu'il affecte et de tâcher d'aborder ses poèmes en oubliant sa gloire passée, présente et à venir, et en tenant compte de sa jeunesse qui est extrême.

M. Jean Cocteau me paraît extraordinairement doué. Mais pour bien discerner, d'entre ses dons, lesquels sont authentiques, lesquels d'emprunt, il faudrait déployer la plus patiente analyse. Il trouve et il retrouve. Il semble qu'il ait beaucoup lu et qu'il puise dans ses lectures une excitation constante, une habitude de penser par images, de rhythmer en vers, en strophes et en stances, dont il n'est bientôt plus le maître et qui l'emporte à tort et à travers. Il a lu Baudelaire, Gautier, Hérédia, il a lu Moréas, il a lu la comtesse de Noailles, il a lu Banville, Chénier, Ronsard et aussi Henri de Régnier ; il a peut-être lu aussi Rostand. Je ne lui en fais pas grief. Ayant à choisir un métier, il a choisi le métier parnassien et néo-classique : il y est devenu très vite d'une grande virtuosité. Il connaît le moyen d'être tour à tour et comme de plain pied, lyrique, épique, élégiaque; il a le sens des mots, des coupes et des rejets ; il fait bon emploi de la rime ; parfois il atteint même à une belle pureté ; pas une des pièces de son livre qui ne contienne au moins une strophe bien venue... Mais tout ceci, et les meilleures réussites, manque de l'homogénéité morale nécessaire. Tout ceci semble à la fois obtenu par hasard et de propos délibéré ; ce fou est trop sûr de lui ; cet artiste perd trop souvent la tête : son équi- libre, il ne l'a pas encore trouvé. — Mais en lui je distingue une qualité neuve, une qualité qu'aucun de nos poètes mo- dernistes, sinon André Salmon, ne possède au même degré ; c'est une sorte de hardiesse dans l'emploi des mots, qui fait que tous, et les plus actuels, les moins vieillis par l'usage des siècles, prennent dans le vers un éclat, une patine, un relief qui les tirent du domaine de la conversation commune. Plus que son baudelairisme, plus que son bondissement à la Signoret, plus que la palpitation sensuelle, bien également

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