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CHRONIQUE DE CAERDAL 487

tentures et il soulève les courtines. Il ouvre les draps. Il écoute le silence, et sur l'oreiller l'écho des paroles froidies. Il pique au plus épais des matelas, et il en tire telle touffe de laine, tel lam- beau enfoui, où la marque des dormeurs est encore vive, et où subsiste leur odeur. Nul ne s'en doute, et il est là, dans le coin d'ombre, à surprendre les soupirs de la volupté, les aveux de la fièvre ou du sommeil, les rides de la passion sans masque et les grimaces de la haine.

Il est sans complaisance, même à ce qui lui plaît; et, je crois, sans scandale. Homme singulier par l'avide présence du regard, et par l'cfîàcement de la personne.

Il est vraiment le peintre qui témoigne, et sans parti. L'homme qui ne craint pas de voir, c'est donc lui, Suétone Tranquille, le bien nommé, vaste et tranquille miroir, en effet, qui réfléchit sans un frisson, sans une ride, les incendies de Rome, les Sodomes de marbre et les Gomorrhes du Palatin, les cloaques de la plèbe, les lâches aca- démies du Sénat, les drames les plus violents et les farces les plus sanglantes que le monde ait encore vus, avec les masques des acteurs, leur son de voix, le fard des visages, les maîtres mots de l'ac- tion et les couleurs de l'événement.

André Suarès.

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