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LE PATHÉTIQUE DES MENDIANTS 465

mêmes formes sues par cœur. On ne regardait plus la nature. Le moyen âge l'avait traversée sans la voir, comme Saint Bernard, ayant voyagé tout un jour le long du lac Léman, demandait le soir où était le lac. Soudain, le prodige de l'Alverne se produit en coup de théâtre. On découvre avec étonnement, non pas un second Christ, mais quelque chose qui s'en rapproche. Un homme du siècle, un moderne, a reproduit en lui les caractères divins. Chose imprévue ! L'antique mère est toujours féconde : la vie ne s'est pas encore retirée de ses flancs. Les formules sont en déroute. Les ombres se dissipent. A la suite de ce vivant, le vaste et mobile univers rentre dans la peinture. Bouleversement immense! On cherche à l'expli- quer par la philosophie particulière de Saint François, par son amour de la nature, par son art instinctif, son génie de poète. Non, le fait tient uniquement à la merveille des stigmates. Il fallait ce miracle pour rompre l'enchante- ment, réveiller le monde engourdi, permettre à un contemporain de forcer les barrières de l'art. Et derrière lui la vie, la vie universelle, réelle, familière, infinie, se préci- pite à flots sacrés. Il y a un trait sublime de Sainte Elisa- beth, que rapporte son biographe Thierry d'Apolda. Elle avait recueilli dans son lit un lépreux. Son mari furieux accourt, arrache les draps : mais, à la place du misérable, il découvre le corps étincelant de Jésus-Christ. N'est-ce pas là un peu l'oeuvre de saint François, si ce stigmatisé, ce vivant portrait du Christ, a en quelque manière trans- figuré le monde en nous faisant comprendre que la vie est divine ? "

Pour comprendre le succès des mendiants, il faut bien voir que deux traits puissants marquent la singulière

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