376 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE
avec la joie d'un enfant qui farfouille dans une boîte à ouvrage. Tout y a l'adorable gaucherie de l'enfance.
Je vois Bonnard, se baladant, le nez en avant, les narines bien ouvertes. Il s'amuse partout. On sent qu'il n'a jamais son siège fait. Il est toujours curieux, en quête d'autre chose, toujours en passe d'autre chose, toujours en passe de se succéder, comme les mouvements multipliés et variés d'un chat. Mais nulle inquiétude en cette mobilité.
Il est des œuvres qui naissent d'une sorte de torsion du cerveau et du cœur, après une lente et dure gestation ; l'effort lui-même en est créateur. Ces œuvres contiennent plus que leur auteur et leur destinée a tout l'essor des destinées humaines, elles portent tout le mystère et toute la force de la naissance et grandissent comme l'enfant. Jamais une œuvre de Bonnard ne le dépasse. Elle lui est toujours égale, identique. Mais sa richesse est toujours contenue, toujours discrète. On y sent couver le feu sous la cendre ; tout y est tamisé, comme le couchant par les arbres dans un verger. Il s'en faut d'un rien qu'un rayon n'éclate....
De première source, sans intermédiaire, Bonnard livre sa peinture telle quelle, toute fraîchement inventée. C'est un jardin livré à lui-même, sans jardinier. C'est libre comme un jeu. Les hasards peuvent être déconcertants. C'est toujours pris dans l'ensemble. Ça se compose tout seul avec ses accidents heureux ou malheureux, comme la nature. En chaque coin de la toile, je sens la pulsation charmante de la vie.
Bonnard est à peine créateur tellement il est doué. Il ne fait que répandre ses dons. Il se déploie, il se dépêtre, il prend sa place, comme un organe se développe et son progrès chaque fois est dans l'amplitude plus large d'une dilatation plus aisée. Il fait penser à la croissance d'un corps vivant.
Il n'est d'autre raison de l'admirer que de l'aimer.
Gaston Gallimard.
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