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NOTES 375

Ce que je ne réussis pas à aimer en d'autres, je l'aime en lui : cette désinvolture, cette facilité parfois un peu lâchée. C'est que Bonnard dédaigne d'être éternel. Sa peinture est essen- tiellement présente. Elle recommence comme les jours ; elle est toujours nouvelle comme l'aube, comme le feuillage aussi frais, le matin, que s'il n'avait jamais servi, jamais jauni, jamais reçu la poussière. Ici point de logique, point de notre logique. II ne s'agit pas de trouver un accord entre notre sensibilité et nos idées ; et le miracle c'est que nous n'y songeons pas. Peut-être nous fatiguerions-nous de tant de caprice, de tant d'insouciance, mais cette peinture n'est pas faite pour s'imposer à nous. Par une chaude journée d'été, alors que le soleil dévore toutes couleurs et découpe brutalement la lumière, qu'il sonne " comme un coup de gong ", il est exquis d'entrer dans cette salle qu'ombragent ces peintures, d'ouvrir les yeux abrutis de réverbération, les oreilles, les narines, les mains et de recevoir ce frais bouquet au visage, et de passer.... Mais il est toujours délectable d'y revenir. La voilà, la vraie détente.

Bonnard peint fonctionnellement, comme une plante pousse. Sa peinture s'ouvre, s'épanouit, se frise comme un beau chou, comme un enfant agite ses menottes. Elle est fraîche comme un marché, comme un éventaire. Elle est saine comme un poisson. Elle sort les ailes collées, pleines de beaux luisants de lumière, pleines de fils d'argent, comme un papillon qui éclôt. Elle sort comme un prolongement de la vie, comme une sève, avec l'autorité de la santé. Tout vient au jour ensemble, pêle-mêle, fripé, la sensation et ses vêtements en désordre; mais tout se tend, se sèche, tout s'ordonne et s'arrange sous notre regard, comme sèche le feuillage au soleil, après la pluie. Et c'est pourquoi le lâché de la forme, ou même le manque de forme ne nous gêne pas. La jeunesse, la vitalité de cette peinture emporte tout, tant les éléments en ont de valeur par eux-mêmes. Pas de motifs, les choses sont là, sans raison. Nous y " cherchons notre vie ", nous y piquons, nous y fouillons

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