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2 8 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

je m'abritais sous un arbre, ou bien dans une de ces pauvres maisons qui s'ouvrent d'abord sur l'étable. Une bonne odeur, une vapeur épaisse et tiède de litière et de bestiaux, m'accueillaient dès l'entrée. Que j'étais jeune alors, et quelle allégresse me soutenait ! Ah ! beaux souvenirs, combien n'avez-vous pas sur nous plus de prises encore que toutes les puissances de la mort ! Que dis-je, n'étes-vous pas la mort elle-même !

La pluie a cessé, il n'en reste dans l'air qu'une humidité suspendue. L'heure du départ est proche, et, pour mieux jouir des derniers instants qui me restent, je longe un ruisseau qui serpente derrière un rideau d'arbres. Des feuilles mortes déjà jonchent la mousse épaisse. Les eaux sont basses, mais d'une transparence d'air liquide. A l'écart, un creux limpide, un rocher tout fendu, un figuier maigre, élégant et tors, qui surplombe, forment un poème tout fait, une églogue naturel- lement composée. Dans une ferme que je discerne à peine entre les feuillages, quelqu'un d'invisible joue d'un instrument qui tient de l'harmonica, de la vielle et de l'accordéon. Tout, dans ce pays retiré, confine au mystère. Cette musique frêle, rompue, cristalline, emprunte à la sonorité d'une atmosphère humide la plus pénétrante douceur. Quelque chose de blessé, de naïvement passionné, semble traîner et pleurer tout bas, sous les ramures chargées de pluie. On oublie que des mains

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