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212 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

qu'un auteur qui s'expose dans un roman fasse de lui un individu vivant. Des Mémoires donnent bien l'impression de la vie, mais tout autre que celle d'un roman. Balzac, qui luttait contre l'état- civil, a mis au jour une fois au moins un person- nage amorphe, un enfant qui n'a pas un trait de l'enfant : c'est lorsqu'il a voulu se raconter lui- même et qu'il a écrit Louis Lambert. Et Louis Lambert nous donne peut-être dans son didactisme la clef théorique de cette faculté du vrai roman- cier, qui crée des personnages avec sa substance propre (ce que Balzac comme Schopenhauer appelle sa Volonté) et, livré à eux, cesse d'être intéressant pour lui-même, soit qu'un tel état devienne chez lui, par l'entraînement professionnel, une habitude, comme pour Balzac, ou qu'un égotiste comme Stendhal y trouve un alibi momentané, ou qu'il flotte, comme c'est l'ordinaire, entre ces deux types extrêmes. En d'autres termes, le romancier authen- tique crée ses personnages avec les directions infinies de sa vie possible, le romancier factice les crée avec la ligne unique de sa vie réelle. Le vrai roman est comme une autobiographie du possible, la biographie par Sextus Tarquin de tous ces Sextus Tarquins que, dans l'apologue qui termine la Theodicée de Leibnitz, la divinité montre à Sextus peuplant à l'infini l'infinité des mondes possibles. Il semble que certains hommes, les créateurs de vie, apportent la conscience de ces existences pos-

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