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REFLEXIONS SUR LE ROMAN 211

spontanéité de Stendhal est pour Taine une nature qui est en deçà de l'art, et qu'il s'efforce d'ame- ner à l'art. Etienne Mayran, c'est du Stendhal écrit, habillé, composé, — manqué. Son héros est un Julien Sorel factice, fait de quelques pièces raides. Taine a bien jugé. Il a vu qu'Etienne ne vivait pas, et que lui ne ferait jamais vivre de personnages imaginaires. Il s'est rabattu sur le réel, sur les personnages historiques, mais ses portraits des Origines sont composés en somme comme son Etienne Mayran. Son Danton, son Robespierre, son Napoléon, ont une vie puissante et monotone, pensée à priori, organisée non pas autour d'une âme, mais autour d'une définition, d'une faculté maîtresse. Ils témoignent d'un génie d'interpréta- tion par l'abstrait, non de réalisation dans le con- cret, et ce génie est mal à sa place hors de l'histoire. La raideur naturelle à ses lignes, c'est toujours vers Stendhal que Taine se tournait pour essayer de la détendre et d'épouser plus près la souplesse de la vie. Chaque année, nous dit-il, il relisait La Chartreuse de Parme.

Observons que, des deux héros, Etienne Mayran est raconté dans une autobiographie de Taine, tandis que Julien Sorel est composé par Stendhal assez objectivement, à l'occasion d'une cause célèbre jugée aux assises de Grenoble. Ce n'est pas seulement la différence de deux écrivains qui nous occupe, mais celle de deux genres. 11 est très rare

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