LES REVUES 199
autre fois frappée d'infamie et expulsée, pendant que la Religion et Swedenborg prenaient une place d'honneur un peu instable. Strindberg, voilà celui qui a été le maître dans sa maison. La question ouvrière a été soit un problème central de la vie, soit un bluff immense ; la culture a été un bienfait ou une malédiction, suivant le temps et l'humeur. On est forcé de penser aux fétichistes, qui attendent tout d'une nouvelle idole, mais qui, lorsque l'idole ne tient pas ce qu'elle n'avait jamais promis, lui crachent au visage et la brûlent.
...Il est le grand naturaliste de la littérature suédoise : on ne trouve guère d'autre formule brève pour caractériser l'indivi- dualité poétique de Strindberg.
Mais il y a plusieurs sortes de naturalismes. Strindberg n'a pas grand'chose de commun avec le naturalisme de l'école française — cet art d'ingénieurs littéraires, qui excelle à collectionner les faits et les notes, et à élaborer des calculs avec patience — bien qu'il s'en soit souvent inspiré, et qu'il ait voulu parfois rivaliser avec lui. Le naturalisme de Strindberg est d'une espèce beaucoup plus personnelle et beaucoup plus primitive. On le trouve déjà dans ses premières œuvres, qui sont antérieures à l'influence française. Il n'est que la sensibilité ouverte et fraîche, la puissance de réaction sans bornes et sans fatigue, l'appétit enfantin pour tous les phénomènes de la vie. Quelle joie d'explorateur artiste et psychologue, jamais blasé, quels sens merveilleux, aigus et vierges, comme ceux d'un sauvage !
...Les grandes œuvres artistiques de Strindberg sont les romans de l'archipel suédois, Hems'ôboma {Les habitants de Pile de Hemso) et Skarkarlslif {Fie des marins). Il y a là plus que la connaissance de la nature et des hommes, il y en a aussi l'amour — et l'amour est le principe fécondant même dans l'art. Il n'y a pas de tendances polémiques qui gâtent les proportions, pas de fantômes scientifiques qui trompent l'œil. Hems'ôborna, c'est le chef-d'œuvre. Jamais Strindberg n'a dessiné
�� �
