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1096 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

divers. Magistrat, il fut l'homme de sa fonction et c'est l'esprit des lois humaines qu'il s'obstine à chercher, à élucider, à fixer dès l'époque des Lettres Persanes. Nul ne fut moins un abstrac- teur. Il brasse les idées comme de la matière vivante, il ne les sépare pas des moeurs. On eût aimé connaître l'homme. M. Strowski en trace un excellent portrait :

" C'est que Montesquieu est un génie profond et patient qu'il ne faut pas juger sur l'apparence. A la surface son esprit va et vient ; son intelligence, vive et comme pleine d'allégresse, s'élance dans tous les sens et vers toute lumière. Mais prenons garde ; au-dessous est une âme constante qui d'un mouvement continu s'avance dans les mêmes problèmes vers une seule con- quête. Le tour mondain, l'art d'intéresser les gens en leur parlant selon leurs goûts, les mille clartés recueillies dans la dispersion superficielle de l'esprit, la méthode même de l'obser- vation et de l'expérimentation telle que Montesquieu vient de la pratiquer dans les sciences naturelles (on sait qu'il débuta par là) tout cela sera utilisé et servira : mais tout cela servira à une seule chose. "

Et puis quel esprit large que cet esprit souverain ! et qu'il a bonne conscience !

" Mon principal soin, écrit-il, fut d'accoutumer mon esprit à prendre toujours les choses en bonne part, et y chercher le bien lorsqu'elles en étaient susceptibles.

" Si j'avais su quelque chose qui m'eût été utile et qui eût été préjudiciable à ma famille, je l'aurais rejeté de mon esprit. Si j'avais su quelque chose utile à ma famille et qui ne l'eût pas été à ma patrie, j'aurais cherché à l'oublier. Si j'avais su quelque chose utile à ma patrie et qui aurait été préjudiciable à l'Europe, ou qui eût été utile à l'Europe et préjudiciable au genre humain, je l'aurais regardée comme un crime. "

Il dit ailleurs, esquissant son propre portrait :

" Je n'ai presque jamais eu de chagrin et encore moins d'ennui.

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