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LE THéATRE IO81

OU plus exactement l'on est chez la veuve d'Emmanuel Bailly ou chez Emmanuel Bailly lui-même, car l'ombre du grand homme remplit la maison, les bibliothèques sont pleines de ses livres, les objets dont il se servait sont restés tels qu'il les a laissés et ses proches ne vivent plus que pour le culte de sa mémoire. On est à la veille du grand jour où l'on inaugurera solennellement le monument dressé par souscription publique à la gloire d'Emmanuel Bailly. Les secrétaires sont affairés. On répète une cantate dans la galerie, tandis que, dans la bibliothèque, des hommes politiques viennent soumettre des passages de leurs discours à Alain Mostier, le principal organi- sateur de la fête, sorte de fac-totum qui fut tour à tour le secrétaire du maître, son confident, le conseiller de sa veuve, le pré- cepteur de son fils, le parasite dont la maison ne peut plus se passer. Quant au modeste visiteur, Hilaire, qui osait en un pareil jour demander à voir en personne le fils de l'écrivain, il y a longtemps que ce tohu-bohu l'a refoulé dans un cabinet où l'on oublie sa présence. Mais voici Robert Bailly. C'est un jeune homme délicat à qui ces orateurs répugnent, que tout ce bruit irrite, qui ne cède qu'avec une mauvaise grâce hostile aux exhortations de Mostier. Visiblement cette fête lui est à charge ; le discours qu'on lui fait prononcer est contraire à tout ce qu'il sent ; et non seulement ce discours, mais toutes les paroles, tous les gestes que depuis l'enfance on tâche de lui inculquer. Il est entré dans une vie toute faite, dans des pensées qui n'étaient pas à sa mesure. Son caractère avait trop peu de trempe pour réagir ; il n'en est résulté qu'aigreur, que sourde rancune contre ceux qui l'ont élevé, contre ce père dont on l'excède et pour lequel il n'a jamais éprouvé d'affection. Sa mère non plus ne possède pas sa confiance ; c'est une femme trop impérieuse. Il ne s'abandonne qu'auprès de son amie d'enfance, Alice, la nièce de Mostier, nature timide qui l'aime et que n'affarouchent pas ses ombrageuses confidences. Et quand la scène se vide de tout ce tapage, quand Robert à bout de

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