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1076 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

chef de famille antique, — " les dieux dont je descends " — ou " Dieu " tout court, ou " l'intérêt du roi ", si ce n'est pas celui de " l'empereur ". Il invoque l'Étape, la loi de vie, d'ascension, d'évolution, d'adaptation. Et les fils pourront taxer de dureté ce langage. Ils pourront juger rigoureuse, implacable, "cette conception d'un altruisme favorable à la collectivité, mais cruel à l'individu ". Ils trouveront au fond de leur cœur d'impérieuses raisons de se soumettre, une nécessité fatale, intransgressible. Même dans leurs écarts les plus scabreux, ils auront une pensée pour le destin des Fabrecé " plus grands, plus forts et plus prospères ". C'est cette pensée qui ramènera à la fidélité conjugale le volage Jean-Marc ; c'est elle qui imposera l'union classique, assortie, à Jacques, " le Chinois ", un moment grisé de liberté ; elle, qui consacrera Sophie à un célibat de vieille tante, et qui détournera Olivier d'épouser une infirme. C'est encore le souci de la gloire des Fabrecé qui entraînera l'indiscipliné, le rêveur, l'anarchique Florent, à risquer vingt fois sa vie dans des prouesses d'aviateur. Et, sans doute, Antoine, lorsqu'il aura un enfant de Jenny-Rose, ira vivre avec celle-ci, au mépris de la volonté des siens, mais avec quelle résignation accablée, quelle nostalgie du foyer paternel et des joies familiales !

Et je songe, par contraste, à cette autre révoltée, à la petite Anne- Véronique de Wells. Elle n'était pas accablée, elle, et tristement résignée, mélancoliquement nostalgique, lorsqu'elle fuyait avec Capes, avec le compagnon élu, le home, le toit natal. Ah ! quels battements joyeux de son cœur scandaient son départ ! quelle certitude triomphante, quelle assurance allègre, elle apportait à sa résolution de " vivre sa vie " ! C'est avec une adhésion de tout son être, une conviction frémissante, une attente passionnée, que cette enfant se prêtait aux habi- tuelles suggestions de l'adolescence, qu'elle cédait à l'instinct de divorce et d'aventure, qu'elle écoutait la voix confuse, mais insidieuse, qui l'arrachait à son père...

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