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roman que j’appelle, au sens le plus large et le plus poétique, roman d’aventures, c’est que tout peut y arriver. Tout ce que recèle l’inconnu peut y venir au contact d’une expérience humaine. Il utilise tout l’homme, et ne limite aucunement le jeu du possible. Il est le véritable instrument d’exploration et de découverte. Cette ardeur de l’imagination, cette soif du réel, ce culte de l’exubérance humaine, enfin cet amour aventureux du monde et de la vie, — ce sont autant de noms dont il faut baptiser le plus beau mouvement de l’esprit, celui qui nous porte à la rencontre et nous met dans la possession tremblante d’une vérité héroïque.

Mais, l’aventure, n’est-ce pas : ce qui advient par cas fortuit ? Toute une esthétique de l’illogique et de l’inconditionné va donc en découler. Certes, je vois bien jusqu’où m’entraîne mon propos. Et j’irai jusque-là. J’accueillerai, dans le roman, même le hasard. Il est ennemi du drame, dont il altère les proportions trop pures et rompt l’équilibre trop altier. Mais le roman, par mille articulations, se prête à tous les chocs. Et l’accident ne fait qu’y provoquer i de nouveaux jaillissements. Oui, j’admettrai que des rencontres fortuites, des interventions presque surnaturelles, de tout ce que le vulgaire nomme "invraisemblance", quelque profonde nouveauté psychologique puisse surgir. La poussée du grand roman ne s’arrête pas aux limites du fantastique. Il tient compte de tout et ne rend compte de rien. Aspirant à la connaissance, il laisse, entre le monde et nous, une marge de mystère. Soutenant avec la création, qui pour lui n’a rien d’expliqué, un véritable démêlé, toutes les sortes d’intuitions et d’hypothèses lui sont permises. Il est pénétré de ce sens du merveilleux qui, seul, porte la réalité au degré de fiction où elle devient romanesque.

Jacques Copeau.