LES ROMANS 689
Qu'entendez-vous donc par épouser ? Si vous ne voulez pas dire qu'il faut, par un effort d'imagination et de sympathie, se représenter la vie totale de l'objet, jusqu'au point où il s'évanouit dans le mystère et nous devient inexprimable, — ce qui est ma thèse, — il ne peut s'agir que de l'impression que fait sur vous l'objet. Cette impression est, en effet, une sorte d'union momentanée du sujet et de l'objet, mais non pas précisément un mariage, car un mariage implique au moins une certaine durée. Et tel n'est point le cas. Vivre de la vie de ses person- nages est un salutaire conseil à donner à un romancier. Ce n'est, au fond, qu'une métaphore. Ce prétendu mariage se réduit à une série d'impressions plus ou moins espacées, autant que possible, originales.
D'ailleurs n'exagérons rien : ce commerce intermittent peut permettre à un écrivain médiocre d'écrire, par hasard, un bon livre, — il est inutile à un visionnaire de génie. On s'en va répétant que les paysans de Zola sont faux : c'est plus com- mode que d'y aller voir. Quiconque est né, comme moi, parmi les paysans, quiconque a vécu avec eux les retrouve dans les figures que Zola a dessinées d'eux, — non pas tout entiers sans doute, non pas tous les paysans : il n'en a pris que ce qui pouvait cadrer avec les dimensions et se raccorder à la couleur de ses fresques. Ce qu'il a laissé n'est que broutille et pâture pour les petits talents.
Quoi qu'il en soit, l'impression vive est, pour moi, comme pour vous, le point de départ. Là-dessus nous sommes parfaite- ment d'accord. Seulement, tandis que la méthode sentimentale se borne à multiplier les impressions de ce genre et qu'elle y voit la fin suprême de l'art, la méthode intellectuelle critique l'impression originale, elle s'efforce d'y démêler la part du sujet et de l'objet, de discerner ce qui est qualité de l'un et ce qui est qualité de l'autre : opération malaisée, à laquelle il sied d'apporter beaucoup d'expérience et, quelquefois, beaucoup de
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