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CHRONIQUE DE CAERDAL 675

feindre la vie, à jouer un rôle et à sculpter sa statue. Il n'a vécu que pour l'opinion des autres, tout en ne sortant jamais de soi.

Avant lui, Rousseau et Goethe ont tenté le même art de vivre. Mais la nature avait choisi pour Rousseau, et elle lui avait imposé le seul rôle où il fût propre : il l'a subi, même en s'en flattant ; il en a souffert ; il en est mort. Et Gœthe, en jouant plus d'un personnage, a plus d'une fois tenu le rôle que la nature lui avait prescrit. Peu de vanité en celui là, et d'immenses ressources. Il n'est pas dupe. Sa volonté et même son caprice s'accordent le plus souvent avec l'ordre immuable. Il avait déjà franchi les bornes d'une vie ordinaire, quand il s'est consacré à modeler son marbre. Cette grande vieil- lesse, tout entière vouée à polir l'image d'un poëte souverain et d'une intelligence universelle, rachète par le calme, par l'étendue du regard et l'abon- dance des moissons bien des duplicités à l'allemande, bien des mensonges involontaires et la fréquente mesquinerie du goût, l'épopée chez l'apothicaire et cette grosse Minerve bavaroise d'Iphigénie. Le magnifique intérêt que ce vieillard porte à la vie, en tous les sens, nous gagne même à ses erreurs, au menues impostures de son caractère et aux défaillances de son esprit. La dignité de l'intelli- gence ne le cède à aucune autre.

Pour Chateaubriand, il est mille fois moins René qu'il ne l'a voulu faire. Il soutient son personnage

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