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650 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

On était au printemps, l'orge du terrain-piège com- mençait de verdoyer; quelques peupliers d'Italie allon- geaient sur le sol leur ombre misérable j il ne manquait à ce tableau champêtre que deux ou trois chèvres de Malte et un troupeau de cochons noirs, pour avoir en raccourci l'image complète de Ben Nezouh.

La foudroyante arrivée de Mohammed ne permit pas aux quatre consommateurs de vider leurs verres jusqu'au fond. D'un revers de matraque, il fit sauter en éclats la bouteille et les verres. Mammo épouvanté s'était mis à plat ventre ; les trois autres avaient fui. Mohammed courait après eux. Je le rejoignis bride abattue, craignant qu'il ne les assommât. " Laisse-moi ! " me dit-il. Et avec une habileté de cavalier consommé, successivement il rejoignit les fuyards, et faisant siffler sa matraque à leurs oreilles, l'un après l'autre, il les obligea tous à passer à quatre pattes entre les jambes de sa bête. Et chaque fois il crachait sur eux. Cela fait, il abandonna les gredins à leur terreur, et le cœur soulagé nous continuâmes notre chemin dans les sables.

Le Khalife suspendit là son récit. Une question me venait sur les lèvres, mais je n'osais la formuler craignant de réveiller en lui un souvenir trop douloureux. A la fin m'enhardissant :

— Et Zohira ? lui demandai-je.

— Zohira ? me dit-il, c'est presque moi qui l'ai tuée... Pendant quatre ou cinq ans, je n'entendis plus parler d'elle. Et puis un jour, des palanquins passèrent devant nos tentes : c'étaient des Naïliat en voyage qui se ren- daient à Ouargla. Ces tentes aëriennes, ces tapis éclatants,

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