LA FÊTE ARABE 649
Je confiai ma maison pour la vendre à un avoué de Médéah ; et en caravane toute simple, Mohammed, sa femme, leurs trois enfants et moi, nous prîmes le chemin du désert. Je fuyais, j'étais un vaincu. Une afïreuse détresse me remplissait le cœur, et je ne sais aussi quel horrible regret de ce que je laissais derrière moi. Rien pourtant n'y demeurait plus de ce que j'avais aimé: j'avais bâti une ville, mais pour la voir se ruiner sous mes yeux ; j'avais voulu attirer des gens de ma race dans ce pays, et je n'avais fait que hâter l'invasion de hordes étrangères ; j'avais pensé élever les indigènes à une civilisation supérieure, et tout ce qu'il y avait de noblesse et de poésie avait fui depuis longtemps ce village où il ne restait plus maintenant qu'une population misé- rable, qui à ses vices naturels avait ajouté les nôtres. Des ruines, des espoirs déçus, je ne laissais rien autre chose ; mais il y a, dans la vie, de ces minutes désespérées où l'on regrette tout cela plus encore que le bonheur.
Penché sur mon cheval, je m'en allais tristement, sans même jeter un regard derrière moi pour voir une dernière fois l'oasis. Tout à coup, Mohammed partit à mes côtés, avec la rapidité d'une flèche. Debout sur ses étriers, il faisait tournoyer au dessus de sa tête sa matraque d'olivier sauvage, comme un fusil dans une fantasia. D'un coup d'oeil je compris tout. Là-bas, près du Ras el Aïoun, à la tête des sources, dans son fameux terrain-piège, Gonzalvez était assis sous une tonnelle de roseaux. Près de lui, Mammo, Lubrano et le curé maltais. Evidemment les gredins s'étaient donné là rendez-vous pour contempler notre fuite et jouir de mon humiliation. En attendant notre passage, ils prenaient l'apéritif.
�� �