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626 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

lointaines du Djebel l'Azreg, les Montagnes Bleues. Des sommes énormes avaient été dépensées dans ce jardin, où s'entremêlaient les arbres les plus différents de forme et de couleur qui poussent sous les Tropiques ; des fleurs rares y étaient entretenues avec soin ; on marchait dans les allées sur des mosaïques de cailloux roses et bleus, et de gracieux pavillons rappelaient çà et là, parmi ces fleurs et ces verdures, tous les styles que la fantaisie arabe a fait naître des Pyrénées à l'Himalaya. Pour les passants c'était un inoubliable souvenir ; pour les indigènes et les nomades, qui ne séparent pas les délices éternelles d'avec les beaux vergers, une sorte de lieu divin. Les Naïliat y venaient, à leurs jours de sortie. Avec leurs colliers d'or, leurs somptueux méchébek et leurs voiles diaprés, elles semblaient véritablement les princesses du lieu. Mais les Calabrias ne voyaient dans ce jardin de féerie, cette inutilité splendide, cette prodigalité d'un esprit magni- fique, qu'une insulte à leur misère: ils évitaient d'y passer. Dès qu'ils furent devenus les maîtres, on les vit envahir le beau jardin. Ils y venaient boire l'anisette, cassaient les tables et les bancs, couvraient d'inscriptions obscènes les murs blancs des kiosques moresques. S'ils rencontraient le propriétaire, ils ne le saluaient même pas et redou- blaient à son approche de grossièreté dans leurs propos. Celui-ci, à bout de patience, les fit un jour mettre à la porte par ses jardiniers indigènes. Ce fut un beau scandale ! Des Européens expulsés d'un jardin par des bicots ! On lui rendit la vie impossible ; on se vengea sur ses domes- tiques, qui furent accablés d'amendes et de jours de prison pour des délits imaginaires et sur la foi de témoins sou- doyés. Saturé de dégoût, il abandonna l'oasis ; mais

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