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6lO LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

encore, mais qu'une forte idée vous saisisse, et l'activité des gens du Nord le cède à l'ardeur qui vous entraîne. Ces Arabes que vous voyez immobiles pendant des jours, étendus dans un coin d'ombre, les yeux perdus sur leurs horizons vides, sont les mêmes gens qui tout à l'heure vont cheminer interminablement sous un soleil torride, et parcourir à pied, à cheval ou à chameau, de prodigieuses étendues. Moi aussi, j'ai connu comme eux, après une longue torpeur, je ne sais quelle fureur d'agir. Avec quel enthousiasme, peu après votre départ, je me lançai dans toutes les entreprises qui devaient transformer Ben Nezouh ! La construction de cette voie ferrée, que j'avais longtemps redoutée comme la mort, la fin de tout ce que j'aimais dans l'oasis, m'apparaissait maintenant comme un jour béni, favorable, qui n'arriverait jamais trop tôt. Ah ! cette voie ferrée, quand j'y songe, comme je me passionnai pour elle ! Même en Europe, il y a toujours je ne sais quelle rude poésie dans la construction d'un chemin de fer, mais dans ces solitudes et sous ce ciel, entre ouvriers de races diverses, Siciliens, Mahonnais, Calabrais, gens de Valence et d'Alicante, Arabes, Kabyles, Maro- cains, qui dénouaient leurs querelles à coups de pioches et de couteaux, cette construction prit un air épique, un caractère de barbarie d'autant plus impressionnant que tout ce monde paraissait travailler à une besogne civilisa- trice. Je croyais enfin toucher l'heure où j'allais voir se réaliser les songes qui depuis tant d'années occupaient mon esprit. Mais il en est de ces grands mouvements comme des grandes douleurs : lorsqu'elles se sont effacées, on s'étonne à la fois de ne plus les ressentir et de n'y avoir pas succombé; on n'éprouve plus devant l'homme qu'on a été un moment

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