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478 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

sur la couleur de leurs yeux, sur les effluves qu'ils répandent. Avec tout cela, ce ne sont pas des fantômes ; ils sont solides ; ils se tiennent sur terre bien d'aplomb et c'est là que M"^ Lenéru révèle son grand don de théâtre. Elle prend exactement le con- trepied de Henri Bataille qui trop souvent ne dote ses person- nages que d'une vie sensitive et sensuelle. Le conflit des Affran- chis n'est pas abstrait; il n'oppose pas des personnages théoriques et des idées, mais il élit certaines régions lucides de l'âme ; il transporte la lutte sur un plan supérieur.

Si sobre de détails que soit la nouvelle pièce de M"® Lenéru, elle comporte une histoire, une aventure qui en constitue, si l'on peut dire, le pivot. L'auteur n'a pas eu les coudées franches. Ce qui ressortissait à ses dons propres et qui aurait dû former le centre de la pièce, elle a dû en faire l'accessoire, et dans ce drame posé sur un terrain beaucoup moins exceptionnel que celui des Affranchis, ses exceptionnelles qualités d'esprit l'ont plutôt desservie.

Dans le salon du cuirassé \^Redoutable^\xo^\x^ gronde sa femme Laurence qui sans tenir compte des règlements est venue le rejoin- dre à bord. On est en présence d'un homme droit, affectueux, scru- puleusement dévoué à son métier, et d'une femme moins rigou- reuse, mais fille de marin et élevée dans une atmosphère d'hon- neur militaire. L'amiral appelé par son service laisse la place à l'officier d'ordonnance Malte. Ce dernier et Laurence s'aiment depuis six ans ; ils parlent de leurs premiers souvenirs communs. Malte met dans cet amour tout son effort de noblesse, noblesse sociale et morale. Il est d'origine plébéienne ; c'est par Laurence qu'il s'est élevé, c'est en elle et en ce qu'elle représente qu'il place son propre sens concret de l'honneur. La femme l'aime avec passion, mais aussi avec cette notion stricte du devoir et de la droiture qui n'est pas loin du remords ; elle ment instincti- vement, comme toute femme coupablement éprise, mais elle a honte du mensonge ; elle porte par mortification un bracelet de carmélite à pointes de fer.

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