fallait ici avoir réfléchi beaucoup sur l’histoire et sur la technique du vers français. Pour faire juger si c’est ou non le cas de M. Barre, je cite ces quelques lignes, puisées au hasard, page 39 :
« Quant au rythme, si Victor Hugo a dépassé Lamartine, il n’a pas été plus loin que Vigny. Après lui il a pratiqué la césure mobile et l’enjambement… Il n’a pas inventé de mètres nouveaux. Il s’est borné à faire consciemment ce que Lamartine avait fait par négligence, et Vigny par souci d’harmoniser la forme avec la pensée qu’elle traduisait. »
Que le sens du rythme soit infiniment plus puissant chez Victor Hugo que chez Vigny, cela peut-il seulement être discuté ? — Ce n’est pas après Vigny (dont le vers est assez classique) que Victor Hugo a pratiqué l’enjambement, c’est après Chénier qui avait déjà influé sur Vigny. Victor Hugo, il est vrai, n’a pas inventé de mètres nouveaux, mais d’une part le symbolisme lui-même a montré par ses essais que le champ ouvert à l’invention métrique est fort limité, et d’autre part, Victor Hugo a dépassé de loin Ronsard dans l’invention de combinaisons métriques nouvelles, de strophes ou plutôt d’associations de strophes selon le mouvement oratoire ou poétique (ce qui est en somme de l’invention métrique.) La négligence de Lamartine est une demi-légende, créée par lui-même ; elle ne s’applique qu’à ses vers faibles et à sa prose ; ses belles pièces, dont nous avons quelquefois les brouillons, travaillées longuement, sont au contraire de magnifiques victoires sur sa facilité. Enfin, je ne vois pas ce que Vigny a fait, dans l’ordre « métrique », par souci d’harmoniser la forme avec la pensée qu’elle traduisait : une forme, chez un poète, ne traduit jamais une pensée, c’est la critique qui traduit par des pensées les formes indivisibles qu’a créées le poète, — et s’il y a quelques exceptions, si la forme et la pensée parfois se distinguent, se raccordent mal, chevauchent visiblement, il se trouve que Vigny, plus que personne, nous les fournirait.