438 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE
baguette à un peuplier de la rive. Aussitôt un indigène accouru à toutes jambes, saisit ma monture à la bride, et dans le charabia du lieu me réclama mes papiers. Je crus avoir affaire à quelque maraudeur, et sans autre explication je lui donnai sur les doigts un bon coup de ma badine. Là-dessus, il m'exhiba fièrement une plaque de cuivre qu'il portait sur le bras : c'était le garde-champêtre.
D'une main tenant mon mulet, de l'autre la branche cassée, il nous ramena tous les deux, ma bête et moi, à Ben Nezouh, au milieu des enfants ameutés et des ricanements de la population qui semblait enchantée de ma mésaventure.
Au commissariat de police on me dressa procès-verbal. Ma promenade était manquée. De plus, il me fallait à deux heures comparaître devant le juge. Il n'y avait donc pas à penser prendre le train aujourd'hui.
Le bruit de mon arrestation avait fait le tour de la ville. Quand j'arrivai au tribunal, tous les gens de Ben Nezouh étaient là, — fronts bas et têtus de Siciliens, profils busqués de Calabrais, larges épaules de muletiers Andalous, cheveux gras de toreros, paupières enflammées de Maltais... Un seul Français, le juge, dont le visage inexpressif rendait presque sympathique les brutes qui nous entouraient.
On appella d'abord trois affaires de minime impor- tance, rixes au jeu de boules, ivresse et tapage nocturne. Deux des contrevenants étaient des Italiens; le troisième, Espagnol naturalisé Français. Tous employaient d'ailleurs le même extravagant jargon, où semblaient broyés, con- cassés les différents patois de la Méditerranée. Cela m'in- téressait vivement, mais n'intéressait que moi. L'auditoire n'eut d'attention que lorsque mon tour arriva.
L'étonnant garde-champêtre commença par faire le
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