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430 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

Mais il y a dans la destruction et la laideur quelque chose qui attire comme dans la beauté. Je finissais par être pris au vertige de cette désolation. Pour m'en pénétrer davan- tage et la contempler à loisir, je montai jusqu'aux blancs décombres que j'apercevais là-haut. De près, je pouvais me rendre compte pourquoi ces gracieux édifices, livrés à l'abandon, avaient été si rapidement dévastés. Comme toutes les maisons indigènes, ils étaient bâtis de briques faites en boue séchée ; pour les défendre contre les intem- péries, ils n'avaient qu'un léger crépi de chaux ou de minces carreaux de faïence : dès qu'on n'avait plus été là pour entretenir et renouveler ces revêtements fragiles, la pluie avait raviné les murailles, le soleil les avait fendues, et l'on voyait aussi qu'elles avaient servi de carrière aux gens d'en bas, et qu'ils en avaient arraché tout ce qui pouvait leur être utile. Çà et là, des vestiges intacts ne faisaient qu'aviver le regret des choses abîmées ou dispa- rues. J'essayai de reconstituer ce qu'avaient dû être ces villas, ces kiosques, ce casino, ce hammam, toute cette ville hier encore animée, où je me promenais aujourd'hui comme un archéologue à Herculanum ou à Pompéï. J'er- rai indéfiniment au milieu de ses ruines quasi neuves, plus tristes mille fois que celles que les siècles ont faites, car ni le temps ni l'imagination n'apportaient là leur mélancolie apaisante. J'entrai dans une cour, j'escaladai une terrasse, je m'aventurai au faîte d'un minaret ; mon arrivée faisait s'envoler bruyamment des corbeaux et des chouettes, les derniers habitants de ces demeures charmantes...

Combien de temps demeurai-je là-haut ? Il me semble, dans mon souvenir, que j'y suis resté des siècles. A la fin, rassasié de solitude et d'abandon, je descendis du côté des

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