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tout entier dans l’effroi de la vision qui lui est promise, » cette transe au milieu de laquelle l’homme ne reconnaît déjà plus, ne sentira bientôt plus ses limites.

Nul, à ma connaissance, n’avait avant Suarès même nommé cette passion du créateur où « l’ardeur du sacrifice de soi passe infiniment l’ardeur que l’on met à se sacrifier les autres. » Nul, pour célébrer cette frénésie, n’avait trouvé de mots aussi terribles :

« Vous ne savez pas jusqu’où peut aller l’amour de la vie dans les êtres profonds, nés pour la souffrance, et qu’elle y attache. Il les porte à tous les excès, que vous appelez crimes, selon votre droit… Donner sa vie, et même prendre la vie des autres, sans en peser exactement la valeur au poids de la raison, de l’agrément et du succès… Jamais assez de bonheur ! Jamais assez de joie !… Car où est le bonheur, sinon dans la folie de tout ce qu’il nous coûte ?…

« A-t-il des regrets et des remords, Dostoïevski, lui qui va si loin dans l’art cruel de se connaître ? Il s’en donne toute l’apparence. Mais remords est un gros mot, qui cache ce qu’il devrait définir. Dostoïevski a le désespoir de ne jamais atteindre ce plein de la passion qu’il poursuit… L’unique passion est, en somme, la passion de la plénitude.

« Un artiste créateur voudrait presque participer,