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l’humanité ait produits »… Cette place, j’ai peur qu’elle ne lui soit bientôt accordée, en effet, par ouï-dire, et pour se débarrasser de lui. On le reléguera dans un temple où ceux qui l’auront édifié ne le visiteront plus guère. Et, s’il s’agit d’influence, combien seront capables de la subir ? Mais déjà les journalistes apprennent à ne plus écorcher son nom. Ses nouveaux thuriféraires, gens du monde ou gens de lettres, parleront de lui comme en parlaient ses détracteurs de naguère, sans le connaître. Ibsen a subi destinée pareille. On l’a supprimé, d’un consentement unanime, en l’acceptant. Et son enseignement demeura, parmi nous, lettre morte. Or, le grand Dostoïevski est cent fois plus difficile, et plus terrible.

Ce qui détourne les uns de Dostoïevski, ce qui retient les autres sur la pente d’un sentiment déjà dangereux, ce n’est pas seulement la paresse : je crois que c’est la peur… Sa vérité est trop urgente, trop indiscrète, trop extrême pour que n’en soient pas épouvantés ces hommes qui passent leur vie à se disculper de l’humaine condition, ou bien à l’éluder. On voudrait se rassurer en souriant des extravagances d’un barbare ! Si la peur de se reconnaître, dans le bien et le mal, ne les tenait aux entrailles, montreraient-ils tant de rage à mettre,