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lOO LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

ne peut porter que sur la partie la plus abstraite d'une œuvre, sur son architecture et son intrigue, et il nous faut accepter de ne pas trouver dans la Brebis Perdue ce je ne sais quoi de fan- tastique qui nous attache encore à Balzac même après que l'intérêt psychologique nous en paraît épuisé. Seul le rôle du curé retient quelque chose de cette généralité puissante qui fait qu'on vit dans la Comédie humaine, un peu comme en une société de demi-dieux. La pièce ne devrait pas se nommer, comme on l'avait annoncé : Véronique, mais : Le supplice de M""^ Graslin. Cette nuance marque bien dans quelle mesure les événements ont pris le pas sur les personnages.

Ceci dit une fois pour toutes, hâtons-nous d'ajouter que la pièce est sobre, rapide, émouvante ; elle use des moyens les plus probes. Peut-être faut-il accuser la distinction de M"^ Bartet plus que le texte de M. Trarieux, peut-être même est-ce Balzac qu'il faut rendre responsable, si l'amour de M™® Graslin pour l'ouvrier Jean-François Tâcheron étonne un peu ; on nous a prévenus que la femme de l'avare banquier était fille d'ouvriers, qu'elle vivait comme une étrangère dans la société où l'avait placée son mariage ; nous le savons, mais de façon toute théorique. Pour nous en donner le sentiment, il faudrait de ces menues touches descriptives que l'on n'a pas le temps de percevoir dans un drame rapidement engagé. Il fallait choisir entre un exposé lent et complet des caractères ou un plus sommaire et plus haletant départ de la pièce. Le parti auquel s'est arrêté M. Trarieux était sans doute le bon, puisque dès le lever du rideau il a su poser son sujet, qu'il l'a développé en deux actes dépouillés et denses, et que même en un dernier acte moins riche, il ne laisse pas le spectateur se reprendre.

Les belles transpositions de M. Emile Fabre, la Rabouilleuse ou César Birotteau, offraient à M. Gabriel Trarieux des modèles difficiles à surpasser. Adaptée à la scène selon une méthode délibérément différente, la Brebis Perdue apporte sa contribution à ce culte de Balzac qui est l'un des plus sains et qui devrait être.

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