ressentie et si vraie que cela devient vraiment poignant de douleur et d’émotion. Et puis maintenant le père et le fils sont face à face. Voilà la plus importante scène d’un livre qui en compte plusieurs de prenantes. Dans les bois, autour du domaine, il y a un lieu dit " mont de la Croix-Verte ". Le père Y emmène le fils, lequel fils ignore toujours que son père connaît la réclamation de l’usurier. Ils marchent, ils marchent. Les voilà au pied du calvaire. Là, on domine la contrée ; l’on a sous les yeux, " en se tournant vers le Sud, un pays immense, presque illimité, vingt lieues d’horizon, vingt lieues de collines nues. " D’admiration, d’amour, le vieux gentilhomme-musicien défaille, ne peut plus parler que par mots entrecoupés. " Ton pays ! dit-il doucement à son fils… la brise !… aspire !… elle sent bon, hein ?.. Elle sent nos vieux arbres, la fumée des brûlots… Vois-tu… elle suit le même chemin que nous tout à l’heure… elle vient du Petit-Fougeray… écoute aussi… écoute… ” Ah ! si Anthime pouvait comprendre, s’attacher à tout cela, à cette bonne vieille terre où il est né, où il a grandi. Ah ! si, à travers les rides et les larmes, il pouvait reconnaître le visage de son père. Mais le beau dandy Anthime, un peu gêné seulement, ne comprend absolument rien à ces suggestions d’un cœur anxieux et débordant. Devant tant d’insensibilité, le père n’y tient plus, éclate. — Misérable ! s’écrie-t-il ; et c’est le tragique réquisitoire contre ce fils, objet de la ruine et de la honte des siens. Écroulé, Anthime pleure. Pour la première fois, il voit l’abîme, le désastre où l’ont poussé sa lâcheté et son imprévoyance. Résigné, il n’a plus, dès lors, que le désir de mourir ; il va même jusqu’à charger — dans ce but — ses pistolets. Mais, nous avions compté sans ce procédé un peu trop facile du violon que M. de Châteaubriant a emprunté aux conteurs hoffmannesques et que M. Romain Rolland a fait, avec talent, vibrer à nouveau dans nos lettres. C’est lui, ce violon pacificateur, dont le père joue avec tant d’âme pendant la nuit, qui va calmer les nerfs du fils, refouler sa décision
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