688 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE
V
29 avril, cf Ararti à Ménabella.
Toutes les femmes du village, dès 6 heures, descendent à la file de la colline pour aller remplir à l'abreuvoir leurs gombos que soutient une bretelle passée sur la poitrine. Le vieillard entêté qui nous disputa si âprement l'accès du point d'eau veille devant la zériba, attentif à ne pas laisser entrer tout le monde à la fois. Quand j'approche à mon tour, il s'incline servilement et me fait place. Autour de la mare, à l'ombre de l'enceinte de branchages, les femmes sont agenouillées ou assises et parlent éperdument, cependant que les gombos, plongés dans l'eau stagnante, se remplissent. C'est ici, je pense, que se forgent les nouvelles et les cancans du lieu. Mon apparition suspend un moment les conversations. Trente visages étonnés se tournent vers moi. Aucune grâce, aucune jeunesse, parmi ces bavardes femelles : les traits sont grossiers, la peau obscure, les cheveux ras ou crépus, point tressés : une longue robe sale, couleur de poussière, couvre jusqu'aux pieds nus les corps informes et penchés. Lorsque les grosses jarres de terre cuite sont pleines, les femmes se redressent, soulèvent d'un coup de reins la charge pesante et s'éloignent en silence, pliées en deux. L'une d'elles, en passant devant moi, a un regard craintif et curieux qui me touche ; j'imagine en un instant, tout ce que, Frengi au teint pâle, je dois représenter à ses yeux, de quelle confuse envie, elle va tout le jour me suivre en pensée. De loin, tandis que nous décampons, je vois les porteuses remonter lentement la colline, entre les
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