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5l8 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

cœur pesait tant que je pressai le pas, et que respirant par la bouche, je soufflai : " Je t'aime. " Il y avait désormais au monde un grand secret : le mien. D'autres petites filles, qui étaient mes camarades de classe, m'avaient vite entourée. Je les trouvais toutes ennuyeuses ou méchantes, mais j'étais bien obligée de passer toutes les récréations en leur compagnie. Il y en avait une, surtout, aux épaules grosses, la taille carrée, avec une figure de vieille femme, un teint malsain couleur de petit-lait, des yeux froids et ronds toujours cernés d'un sale brun, et qui parlait d'une voix de tête, éraillée ; je ne puis dire quelle espèce de dégoût et, même, de terreur, elle m'inspirait. Eh bien, c'était à elle que je cherchais à plaire, et pour cela je faisais des bassesses, disant toujours ce que je croyais devoir être approuvé d'elle, et qui était exactement le contraire de ma pensée. Plus elle me devenait odieuse, plus je la flattais, me mettant à son école, copiant ses gestes, devançant ses volontés. Cette manie d'abaissement me quitta, mais nous fûmes toujours considérées, cette créature et moi, comme deux grandes amies ; " bien faites pour s'entendre " disait-on de nous.

Quant à Rôschen, elle avait ses deux camarades préfé- rées et des relations parmi les grandes. Tout me séparait d'elle ; et j'imaginais volontiers des catastrophes, — comme l'incendie du pensionnat — , qui me permettraient de me lier à jamais d'amitié avec elle, en lui sauvant la vie. Ou bien, j'aurais voulu la taquiner, en passant près d'elle dans la cour, la mettre en colère, et l'obliger à me battre. Etre battue, ou seulement bousculée, par elle ! Mais à la seule pensée de son contact, je me sentais défaillir.

Je ne savais pas grand'chose d'elle ; je peux dire que je

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