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ROSE LOURDIN 517

Pendant les récréations, elle se promenait toujours avec les deux mêmes camarades. Elle marchait entre elles et leur donnait le bras. Je ne la perdais pas de vue, et je connus bientôt tous les traits de sa belle figure blanche et fraîche. Elle était rieuse et avait une certaine façon hardie de relever la tête et de partir soudain en courant. Les sons pressants et joyeux que ses pas faisaient rendre aux pavés du préau me devinrent vite familiers. Oh ! Torage de mon cœur : tout mon être en déroute accueil- lait sa présence, et je n'osais la regarder que lorsqu'elle était un peu loin de moi. Elle avait le buste large mais dégagé, la taille fine, les jambes tout à fait rondes ; sa jupe était déjà bien remplie, et, n'eût été son âge, elle eût pu être dans les grandes. Je m'arrangeais quelquefois pour être derrière elle sur les rangs. Sa nuque était délicate, montrant à peine les deux tendons sous les courts cheveux clairs et la peau fine qui me faisait songer à d'anciennes roses-thé de ma petite enfance... Je n'aurais pas pu dire comment ceci avait commencé : j'aimais sa vie. Chaque goutte de son sang m'était chère.

Elle s'était aperçu que je la regardais beaucoup : et un jour que nous nous étions croisées dans un escalier, elle m'avait jeté, de ses yeux bleus étoiles et dont le blanc même brillait, un regard brusque et plein de malice.

Et une fois enfin je me rendis compte que je l'aimais plus que je n'avais aimé ma propre mère et mes sœurs. Un soir se faisait avec des chants d'oiseaux, du calme et des cris lointains d'enfants ; les ombres confiantes s'allon- geaient, comme pour y dormir toujours, entre les pierres des escaliers et des balcons du vieux couvent. Je suivais un corridor vitré tout chaud de rayons roses ; et mon

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