ROSE LOURDIN §^5
petits noms dans nos familles. Rôschen seule faisait excep- sion, parce que, sans doute, " Rôschen " lui allait si bien...
J'aimais à être grondée. Je crois avoir souvent fait des choses défendues exprès pour être grondée. Oh, ce n'est pas que cela ne me fît pas de peine ; au contraire. La première fois, je crus en mourir. C'était au repas du soir. La maîtresse me fit une observation sur ma tenue. J'étais très fière, et je pensai atténuer le mal que me faisait la réprimande en feignant de la prendre pour une plaisan- terie : je souris, comme pour dire à la maîtresse : " Oui, c'est peu de chose, et vous êtes trop bonne pour avoir voulu me faire de la peine ! "
Cette femme était myope. C'est peut-être ce qui l'em- pêcha de voir ce que signifiait mon sourire. Elle se jeta soudain sur moi, la figure bouleversée, me traita de petite insolente, et cria qu'elle ne me supporterait pas ces manières-là. J'avais douze ans alors, et je sentis qu'elle était irritée contre moi comme elle eût pu l'être contre une femme de son âge. Tout le réfectoire avait fait silence. Elle m'envoya au piquet dans un coin, et j'y restai jusqu'à la fin du repas, tremblant de la tête aux pieds. Toute la nuit je pleurai, buvant mes larmes avec ma lèvre contractée. Quand je m'arrêtais, je songeais à l'in- justice de la maîtresse : je pressais ce souvenir de toutes mes forces, et des larmes, de nouveau, en sortaient. Je finis par pleurer exprès, en songeant : " Demain mes pauvres yeux lui feront pitié, et elle se repentira. Alors je lui pardonnerai tout, et je l'aimerai beaucoup." Il me sem- blait l'aimer déjà. Nous nous promènerions ensemble dans la cour. Elle serait ma grande amie.... Mais elle ne se repentit pas, et je m'amusai, par la suite, à me moquer d'elle ouvertement.
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