vers un cœur éclatant ! Détruisez ce cœur qui fut parfait pour la douleur, — lieu d’élection, composé pour elle, prêt à la recevoir, à s’en imprégner, à la conduire, la diriger, la répandre, la faire fructifier. Dérobez-lui ce cœur ouvert, prospère, qu’elle ensemençait. Mort délicieuse, poignarde en moi le souvenir, dessèche les larmes, romps ce jardin altier où tout était plaintive ordonnance, détruis ce cœur, et tu verras se défaire sous ta dent, bête féroce, un univers plus beau que le clair univers : la coupole des soirs purs, avec l’harmonie des astres, — lune, étoiles, et leur éternelle méditation ; — les matins dans la forêt, quand tout l’azur, le silence, la solitude semblent s’unir pour porter le poids d’un papillon agreste qui flotte sur l’odeur des ronces ; les blancs hivers des cimes — plus éclatants qu’un été d’Orient — lorsque la neige heureuse étincelle près d’un ruisseau dormant, languide et noir comme une molle encre de Chine ; les rivages des mers du Sud, où les épais parfums règnent comme un cinquième élément, toutes ces saveurs, toutes ces délices que je portais en moi, tu les verras se défaire sous ta dent pointue, tandis que de mon cœur coulera un fleuve allongé, couleur de sang, qui passe, silencieux : secret insondable de l’être, tendresse ! tendresse ! mélancolie !
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