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444 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

furieusement leur besoin de se détruire eux-mêmes ; les heures de cette destruction marquaient pour eux les seules étapes du temps.

Mais chaque jour qui passait avait resserré d'une sac- cade les fils d'acier. Le galonné bouffi qui avait installé son bouge au cœur du département regardait, en mâchant des cure-dents, les hommes rappliquer invinciblement vers sa tanière. Le jour approchait où son ordre involon- taire disperserait sur les routes, à la chasse des insoumis, le trot sec des gendarmes à cheval. Le calendrier travaillait avec lui.

Puis l'été passa et ce fut la date qui était portée sur les appels. De même que les cartes silencieuses avaient fait, une fois, le trajet au coeur des sacs postaux, de même, en sens inverse, le fil d'acier se tendant à casser, les réservistes sortirent de chez eux et prirent le chemin du chef-lieu.

Ce fut une marée tapageuse qui gagna de station en station, conflua progressivement vers les bifurca- tions, et se déversa dans le hall de la gare. Il en des- cendit sur tous les quais, en blouse ou en veste, un foulard quadrillé autour du cou, ou la glotte saillante au-dessus du bouton de la chemise. Des chapeaux melons traversèrent la moisson des canotiers de paille. Des cen- taines de semelles ferrées roulèrent sur le macadam. Des valises de carton se prirent de travers dans les portières et coupèrent le flot. Les yeux, vagues du vague de l'espace, rongés par la poussière et la boisson, s'agrandissaient avec le soir. Les joues creuses au poil râpeux portaient l'estam- pille de la trentaine. Les soucis domestiques avaient

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