Page:NRF 6.djvu/360

Cette page n’a pas encore été corrigée

354 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

l'eau. De ce terrain un peu marécageux, de temps en temps surgissait un îlot de roc. Plus loin, vers le Nord, vers la mer, s'ouvraient de radieux loin- tains, échelonnements de pics bleus, issues d'une beauté claire, frémissante, trempée de gloire. Au mât de hune des baleiniers ancrés dans le port, des voiles à demi carguées pour sécher se balançaient avec ampleur. Dans l'air neutre, un vent tiède tout à coup s'éleva. — J'avais gravi une petite éminence où je m'assis sur une pierre presque chaude. Deux brebis venaient de fuir ; mais des oiseaux de marécage s'appelaient et se laissaient approcher. Un singulier frisson me traversa. Mes yeux s'emplirent de larmes, à cause du printemps sans doute. Ténu, presqu'impalpable, il était là pourtant, apportant avec lui l'odeur bien connue d'eau et de terre remuée, et sa douceur. Je m'aper- çus qu'il y avait de frêles fleurs brillantes, que des branches verdissaient à de minuscules arbustes. Vestiges précieux comme des reliques, ce simula- cre de printemps sur cette terre inhumaine était aussi ineffable que dans mon cœur engourdi l'émotion née à son contact. O tiédeur, et ce jardin qui n'était qu'un carré d'herbe clôturé ! Ainsi cette terre sur laquelle pendant trois saisons l'hiver pèse dense et lourd comme du métal, cette terre a su sous le gel, sous le vent glacial, sous des montagnes de neige, préserver ses germes. Il n'y aura pas de moissons, il n'y aura ni été ni

�� �