Page:NRF 6.djvu/353

Cette page n’a pas encore été corrigée

PAYSAGES DE LA TRENTIEME ANNÉE 347

laquelle nous avions patiemment dévidé un laby- rinthe d'écueils et de récifs, la côte enfin se retira et nous laissa le champ libre. La terre ne se voyait plus que de bâbord. 11 y avait là un hémicycle de montagnes qui agrandissait démesurément l'orbe visuel. Le soleil couchant éclairait par larges plans certaines de leurs parties, mais déjà elles projetaient sur leurs propres parois de grandes ombres calmes et profondes.

Peu à peu cette ordonnance rythmée, solide et certaine, pâlit et s'estompa. La mer de ce côté-là s'embruma de violet, de vert, de gris et perdit toute sonorité. Au même moment l'Ouest s'allu- mait ; une orgie d'azur et d'or ruissela sur les grands plis doux et réguliers qui portèrent ce fleuve prestigieux jusqu'au sillage du navire. Un îlot surmonté d'un phare chétif comme une veil- leuse un instant masqua l'apothéose. Quand il reparut, le soleil répandait des flots de pourpre. Il s'était affaissé sur l'horizon comme un trésor devenu trop lourd, comme un fruit mûr qui s'écrase en tombant, comme un cœur trop plein qui éclate. Sa substance échappée de ses bords coulait dans la mer en une nappe incandescente. Les plis mêmes s'aplanirent ; nous trempions dans un miroir immobile. Un papillon noir, voilier de pêche qui passait, s'y était posé, les ailes immenses. De tous petits canards, nageant avec une hâte ridicule firent un accroc au délicat

�� �