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26o LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

ils le sont aujourd'hui — brouillés, écartelés et quasi atrophiés par de longues années d'un exercice intellectuel éminemment dangereux, consistant à vouloir penser et parler simultanément en deux langues d'un esprit opposé.

Certes, je ne méconnais pas l'utilité de l'enseignement des langues étrangères, et surtout de la forme ancienne de cet enseignement, telle que nous l'avons autrefois subie pendant nos années de collège. Accoutumer les enfants, ainsi qu'on le faisait alors, à pouvoir comprendre une page de Dickens ou de Goethe, cela était à la fois très utile et sans aucun inconvé- nient trop grave pour la formation d'une pensée, d'un style et d'un goût français. La langue étrangère apprise de cette façon ne pénétrait, pour ainsi dire, que dans les " bas-côtés " de notre cerveau, nous contraignant à un effort supplémentaire de mémoire, mais non pas à un véritable dédoublement de notre intelligence tout entière....

Il n'y a peut-être pas d'erreur plus complète que celle qui consiste à se représenter les diverses langues comme simple- ment formées de mots, de tournures, de traductions gramma- ticales. La vérité est que chaque langue répond avant tout à une certaine manière de penser et d'ordonner l'expression de sa pensée...

... Un cerveau allemand ou anglais n'est pas conformé de la même manière que le nôtre : il perçoit, associe, raissonne autrement que le nôtre ; et tout effort un peu suivi à parler en allemand ou en anglais implique forcément pour nous la né- cessité de sortir de notre habitude française de penser...

... Si du moins une telle méthode d'enseignement permet- tait à nos enfants de s'initier à la ipratique des langues étran- gères 1 Mais d'abord, ce n'est pas en quelques heures par semaine que de cerveau même le mieux doué pourrait parvenir à se pénétrer de la vie d'une langue. Trois mois passés en Allemagne vaudront toujours mieux, à ce point de vue, que dix ans de " conversation " allemande dans un lycée de Paris...

... Reste simplement l'avantage incontestable qu'il y a, pour quelques-uns d'entre nous, à être en état de comprendre, et de se faire comprendre, moyennement, dans les pays étrangers où

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