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98 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

poursuivis. Et moi, je suis né à Kiew, et j'ai fait Lodz, et Cracovie, et Paris, et me voici. Notre vie est une course, les épreuves se lèvent après les épreuves. Mais les con- frères du Bundt m'ont parlé de l'Amérique. Là aussi c'est la République. Dès qu'Abraham aura fini le service, s'il veut, on partira pour Buenos-Ayres. A Cracovie certes j'étais mieux. Les autres fils n'ont pas voulu venir. Qu'ils restent ! C'est partout de même. "

Il mania brutalement le grès qui était entré par le carreau de l'imposte. La vieille Sarah apportait un gros plat d'estomac de veau rempli de graisse, de pain, d'oeufs hachés et entouré de pruneaux. Un bref soupçon traversa la pensée du Voyageur. Lévy aperçut les sourcils qui se rejoignaient ; il comprit.

— " C'est vendredi soir, le jour où on reçoit ses amis. Les moins riches font alors ce qu'ils peuvent. "

Puis, comme tous ses pareils que piétinent les sandales asiatiques et les semelles de cuir de l'Europe, il ajoute, en rougissant, comme peut rougir un petit homme sans cou, au visage taché de son et père de deux enfants frisés :

— *' Ce sont de vieilles habitudes, auxquelles nous tenons encore, sans savoir pourquoi. "

Mais le voyageur n'écoutait déjà plus. Il fourrageait dans sa barbe brune :

— " Oui, c'est cela, Monsieur Dawido... David... a raison. La vraie solution est de quitter la France, de partir en Argentine, pour laisser passer l'orage. Vous reviendrez quand vous pourrez. "

Lévy sourit de nouveau comme quand on cause avec un enfant et que les mots ne prennent de valeur qu'à force d'être répétés :

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