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PETITS DIALOGUES GRASSOIS 745

plants de fraisiers. Et, pour commencer, j'envoyai une assignation à chacun des quarante-deux escogriflfes qui avaient témoigné dans l'afiFaire de la serpette. Le maire osa venir me défendre de bouger. Je l'assignai à son tour pour intimidation d'un fonctionnaire de la République. Sur quarante-trois procès, j'en perdis trente-neuf, mais je gagnai celui contre le maire, ce qui porta à son comble l'exaspération de ce digne homme. . .

Ah ! je suis sûr, étourdi que je suis, d'avoir oublié de vous dire son nom : c'est M. Gavoty, le père de la jeune fille fraîche et rose qui a envoyé tout à l'heure son frère me demander pour elle l'extrême-onction. Cette audace vous éclaire, n'est-ce pas, sur les mœurs de cette intéres- sante famille... M. Gavoty donc, à demi enragé, convo- qua le conseil municipal et m'infligea un blâme public et officiel. Dès lors, ce fut un chassé-croisé de procès où un vieil avoué de quarante ans d'étude fût devenu fou. Le papier timbré s'abattit par rafales dans toutes les maisons et dans la mienne. Les juges de Cannes, de Grasse et de Nice y perdirent leur latin de Justinien. J'ai dépensé deux cents francs d'omnibus et six cents francs de lettres, de simples lettres. Les indemnités que je recevais payaient de nouveaux procès. Mes ennemis achetaient des terrains à côté de mon verger pour créer des complications à propos des bornes, mais comme leur stupidité les poussait paral- lèlement à écrire sur moi des injures dans les gazettes sans prendre aucune précaution littéraire d'anonymat ou autre, ils se mettaient à ma merci d'un autre côté. Je n'en man- quai pas un. Que voulez-vous ? j'étais parti. Mon sang corse bouillait dans mes veines. Ce n'est pas pour rien que j'ai connu Bellacoscia, jadis, dans mon enfance. Le

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