PETITS DIALOGUES GRASSOIS 743
derrière la fourche des arbres, sous les terrasses ; je savais, comme si je les avais touchés, qu'ils se relevaient, moi passé, et formaient derrière moi une foule gesticulante et haineuse... Mais jamais, jamais, je n'en rencontrai un face à face. Je ne ressentis donc jamais la peur.
Madame de Chatel. — Mais quelle horrible existence!
L'Abbé Pastorelli. — Aride, oui, aride comme un chemin de pierrailles, sans terre, où Ton roule en voulant y grimper, un chemin de pierrailles, sans herbe, et cuit par le soleil. J'ai eu souvent l'occasion de méditer le mot d'esprit de mon évêque.
Monsieur de Chatel. — Vous dites que cela ne dura que deux ans. Pourtant...
L'Abbé Pastorelli. — Je fais allusion à la première phase. Car il y a eu trois phases dans mon existence ici : la première, celle que je viens de vous décrire et que je pourrais appeler la phase de la stupeur; celle dont je vais vous entretenir mériterait assez le nom de phase de l'indignation. Un jour, en effet, je perdis patience... Figurez-vous que j'avais comme enfant de chœur et. Dieu me pardonne, comme seul fidèle, outre trois ou quatre dévotes à qui l'on permettait, par mépris pour leur très grand âge, de fréquenter mon église, un petit garçon vraiment fort gentil et courageux, et qui s'était pris d'affection pour moi. Orphelin, vivant chez une tante qui l'avait recueilli, il m'aimait comme un père. Je lui appre- nais un peu de français, un peu de latin, je tâchais de le mettre à même d'entrer plus tard dans un grand établis- sement religieux d'une ville civilisée. Eh bien ! ils vou- lurent me l'assassiner. Un soir, comme il rentrait dans sa maison, un ivrogne courut après lui avec une serpette
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