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624 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

certaine forêt et une certaine région et une terrasse au bord d'une certaine mer. Nous nous y évadions, connaissant la porte secrète, et le monde ne nous était plus rien. Comprendra- t-on longtemps encore le pouvoir de charme que l'œuvre recèle ? Je ne voudrais pas être de ceux qui bientôt l'en- tendront avec seulement de l'admiration.

Cependant il faut déjà raisonner notre amour ; le triste moment est venu de l'intelligence. Voici comment il me semble pouvoir définir la beauté de Pelléas : la musique jusque là était linéaire ; elle se déroulait ; elle avait besoin de temps pour exprimer ; il fallait attendre les mesures suivantes avant d'apercevoir le sens de ce que l'on entendait. — Dans Pelléas la musique est tout entière en chaque moment ; car elle s'est subtilement tassée, toutes ses parties se sont rapprochées, sont venues doucement les unes contre les autres.

Ainsi d'abord s'explique l'extraordinaire suavité de l'har- monie. Aucune direction extérieure aux accords ; rien qui les conduise, qui les entraîne ; ils ne poursuivent aucune solution, sinon celle qui de l'un va faire l'autre ; ils ne sont pas pris dans un mouvement ; mais ils se touchent exquisement ; ils des- cendent ensemble comme le plaisir ; les lignes qui pour les unir les sépareraient se brisent sous le grêle poids de leur délice singulier et voici qu'ils s'abîment, fragiles, jusqu'à se rejoindre. — C'est pourquoi, s'ils s'enchaînent, ce n'est pas qu'ils se produisent, mais qu'ils s'évoquent ; ils s'enchantent les uns les autres avec une proche délicatesse, comme l'amour fait naître le ravissement. De là ce développement par la faiblesse ou plutôt par l'affaiblissement. Cette musique à chaque instant va finir ; les harmonies sont une chute insensible et intermi- nable ; chacune s'élève en diminution sur la précédente, c'est- à-dire en plus grande extase et plus dénouée encore par la volupté. — De là aussi cette perpétuité de la douceur : il n'y a plus que des parfums ; plus même les fleurs dont ils sont nés. L'harmonie de Pelléas se respire ; elle se répand et l'on ne cherche plus à voir devant soi ; on la suit, sans désir, à sa suavité.

Mais il y a bien autre chose que de la suavité dans Pelléas.

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