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584 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

ordinaire des hommes ne m'étonnent ni ne me passionnent. 11 y a pourtant une chose humaine qui m'intéresse : c'est l'Humanité. Il faut travailler au bonheur humain, humblement, en descendant dans le peuple, en écrivant sa haine pour les bourgeois de manière à la communiquer aux autres. Il y a une collection ignoble de crétins dans la bourgeoisie de ma petite ville. Je les vois dédai- gneux, prétentieux, beaux et bêtes, en troupeaux, hommes, femmes, enfants, et je voudrais les mener à l'abattoir. Il y a en moi des colères irréductibles. Je casserais des gueules comme ils s'amusent à couper des fleurs à coups de cannes.

Je te demande pardon, mon bon vieux, de t'écrire de ces paroles qui au fond ne signifient rien. Je m'exhale, je me confesse, ça me soulage et ça t'intéressera parce que ça te fera connaître des coins de moi-même que tu ne connais guère. Tu veux savoir le nom de ma connaissance : elle s'appelle Maria. C'est une exquise petite fille, mais je suis trop calme et trop sincère vis-à-vis de moi- même pour croire qu'une femme puisse jamais m'aimer. Je m'intéresse à sa souffrance, j'aurais du plaisir à la former, comme j'ai du plaisir à former des petits enfants. C'est tout. Je jouirai d'elle, d'autre part, comme je le pourrai, mais je ne croirai à ses sentiments que lorsqu'elle me les aura mon- trés continuellement pendant dix ans. Je ne lui en dis rien. Je lui fais du boniment.

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