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LETTRES DE CHARLES-LOUIS PHILIPPE 583

il ny a pas de vent. Ma grande forêt était merveil- leuse tous ces matins, mais ce soleil lourd l'em- pêchait aussi de vivre. Je n'aime presque rien. Tous mes sentiments sont enfouis au plus profond de moi-même. Ma petite connaissance ne m'inté- resse pas le moins du monde. Au fond, il faudrait une femme bien parfaite pour que je puisse l'aimer. Il y a en moi cette profonde douleur des person- nages de Flaubert qui ont attendu trop longtemps leur idéal et qui ont usé leur âme à force de rêver. Je vois bien encore une chose qui puisse m'inté- resser : c'est l'étude. Mais l'étude aride et sèche d'une science que je ferais vivre avec ma propre substance. Je pense à faire une histoire et particu- lièrement une histoire de l'amiral de Coligny. Il faudrait pour cela que j'aie la liberté des après- midis afin de pouvoir compulser des documents à la Bibliothèque Nationale. Il me semble que je fouillerais dans ces vieux papiers en tremblant. Il y a au fond de moi-même un grand respect pour la science. Cela me vient de mon père qui, comme tous ceux qui savent à peine lire, a un grand respect pour les livres. Il me semble que ces recherches me consoleraient. Qui sait ? A 24 ans voici que je suis vieux comme un vieux chemin. J'ai tellement rêvé sur toutes choses qu'aucun bonheur ne m'est inconnu, j'ai tellement souffert que je n'ignore aucune souffrance. Je poursuis ma vie avec fatigue et les manifestations de l'existence

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