578 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE
donne pour un autre, le déguise et ne parvient pas à le faire disparaître entièrement.
Il y a là un personnage qui, malgré M. Bernstein, demandait à venir au jour. C'est un joueur ; non point le joueur impatient de gain, qui ne s'intéresse pas au jeu et s'en sert comme d'un moyen, calcule froidement et roule les joueurs de hasard ; ni que le vrai joueur passionné de risque, connais- sant le péril, qui consent à perdre pourvu que la partie soit belle et qu'il lui reste de quoi jouer demain... Mais un joueur sans caractère, impulsif seulement et têtu. Le jeu est son vice, et il n'aime pas le jeu, qu'il pratique comme il userait de quelque drogue souveraine. Il ne s'amuse pas ; il n'a pas le sou et il joue gros jeu ; s'il sait y voir clair, il reconnaîtra qu'il est celui qui joue pour perdre. Il est possédé par la malveillance immanente ; il est abject peut-être... il est presque beau.
Mais en usurpant le nom d'un autre, en se faisant passer à nos yeux pour Robert de Chacéroy, pour Jacques Brachart, pour Guillaume Bourgade, il perd sa dernière chance d'héroïsme. L'héroïsme n'est jamais que dans l'affirmation de soi-même, en dépit du monde qui veut faire abdiquer à son profit. Par excellence, le héros est seul. Il se tient debout parmi le peuple assis. Mais le héros de M. Bernstein est tout consentement ; il passe son temps à recevoir lefi événements et à s'écrouler dessous ; hébété devant sa partie perdue, il écar-
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