Page:NRF 5.djvu/552

Cette page n’a pas encore été corrigée

54^ LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

Beaucoup de ceux qui t'ont fait travailler ne t'ont pas connu. Tu étais, pour eux, un journalier, un jardinier pareil aux autres. Quand la fin de ta journée venait avec le crépuscule, il leur arrivait de te dire :

— Pierre, venez donc donner un coup de main pour rentrer le bois dans la cuisine.

Et cela aussi te semblait si naturel que, souvent, de toi- même, tu t'offrais, avec tes deux bras pourtant bien fatiguv .

Je me garderai de dire que tu ne te rendais pas compte de ta vie. Car tu étais bien heureux que j'aie trouvé une place à Paris, dans ce que l'on appelle un bureau. Tu me disais :

— Certainement, je vois bien que tu ne gagnes pas des mille et des cent. Mais, là, tu es toujours assis. Et puis, été comme hiver, tu es à l'abri du soleil, de la pluie et de la neige. Moi, il jr a des fois où je ne suis plus qu'une eau, et des fois où j'ai les pieds glacés, les mains gelées, avec des crevasses qui me font bien mal.

Mais c'était notre vie, à nous. Maman aussi, de laver dans l'eau couverte de glace qu'il fallait casser à coups de pioche, ses mains n'étaient plus, comme tu le disais, " qu'une crevasse ". C'était la vie de ceux à chaque jour de qui suffit sa peine, parce que le jour suivant vient, lui aussi, avec sa peine.

Tu n'aimais pas les jours de réjouissances publiques. Le Lundi de la Pentecôte ramenait sur les promenades, — dont les tilleuls étaient à vingt pas de notre maison, — les baraques, les " ramées " sous lesquelles on boit de la bière, et de la limonade, et du vin, et les parquets sur lesquels danse, au son d'un violon et quelquefois d'une vielle, la jeunesse du pays. Tu disais :

�� �