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494 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

Madame Toesca-Sardou habite au coin de la rue du Touron et de la rue Peyréguis, un cabaret qui tient plutôt de l'antre d'un troglodyte. Elle y vend des boissons généreuses à des personnages évidemment peu fortunés^ mais qui vivent comme s'ils l'étaient, puisque, malgré la modicité et même la nullité de leurs ressources, le plus clair de leurs occupations consiste à jouer aux cartes et à boire, tout le jour, chez leur hôtesse. M. Truc et M. Bœuf, inséparables, passent là tous les instants que leur ingéniosité peut dérober aux travaux de courtage qui les absorbent. Un piquet sans fin, avec revanches, contre-revanches, belles, belles définitives, etc., leur permet d'absorber, sans presque s'en apercevoir, plusieurs bouteilles de ce vin rouge du Var qui ne peut faire mal à personne. Joseph, l'homme de confiance de madame Silvy, assis à une autre table, taille une manille monstre avec son collègue Marins, l'homme de confiance de M. Maillon, le juge d'in- struction, et le bel Arsène qui passe là, il faut bien le dire, par hasard. Ses beaux yeux noirs, perdus dans une rêverie amoureuse, sont distraits et sa pensée vole bien loin des coquetteries trop fades de madame Toesca-Sardou, laquelle, malgré ses efforts, a la gaieté d'un champignon.poussé dans la crypte d'une basilique du Nord. A une troisième table, celle-ci seule à jouir de l'avare lumière qui tombe de l'unique lucarne éclairant ce sombre lieu] sont installés les deux men- diants les plus célèbres de la ville ; le Cul-de-jatte du Cours, agile gaillard, à la lèvre rase, à l 'œil averti, à la physionomie énergique, qui n'a qu'une jambe en bois, {mais à Grasse, il n'y a pas de cul-de-jatte absolu), et l'Aveugle de la Cathédrale, lequel est aveugle le dimanche, et borgne en semaine, {mais à Grasse, ça suffit bien).

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