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462 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

L'idée de cette fuite lui devenait odieuse, intolérable ; elle courait dire à Gratien que le baron de Gonfreville avait projeté de l'enlever aux siens cette nuit même, qu'on le trouverait rôdant avant le soir auprès du pavillon de la grille dont il fallait déjà l'empêcher d'approcher.

Je m'étonnai qu'elle ne fût point allée simplement re- chercher elle-même cette lettre et la remplacer par une autre où d'une si folle entreprise elle eût découragé son amant. Mais aux questions que je lui posais elle se dérobait sans cesse, répétant en pleurant qu'elle savait bien que je ne la pouvais comprendre et qu'elle-même ne se pouvait mieux expliquer, mais qu'elle ne se sentait alors non plus capable de rebuter son amant que de le suivre ; que la peur l'avait à ce point paralysée, qu'il devenait au-dessus de ses forces de retourner au pavillon ; que d'ail- leurs, à cette heure du jour, ses parents redoutés la surveil- laient, et que c'est pour cela qu'elle avait dû recourir à Gratien.

— Pouvais-je supposer qu'il prendrait au sérieux des paroles échappées à mon délire ? Je pensais qu'il l'écarterait seulement. . . J'eus un sursaut en entendant, une heure après, un coup de fusil du côté de la grille; mais ma pen- sée se détourna d'une supposition horrible et que je me refusais d'envisager ; au contraire, depuis que j'avais averti Gratien, l'esprit et le cœur dégagés, je me sentais presque joyeuse... Mais quand la nuit vint, mais quand approcha l'heure qui eût dû être celle de ma fuite, ah ! malgré moi je commençai d'attendre, je recommençai d'espérer ; du moins une sorte de confiance, et que je savais mensongère, se mêlait à mon désespoir ; je ne pouvais réaliser que la lâcheté, la défaillance d'un moment eussent ruiné d'un

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