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302 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

Je songe avec terreur, si j'avais à cuisiner en roman cette histoire, aux quatre ou cinq pages de développements qu'il siérait ici de gonfler : réflexions après lecture de cette lettre, interrogations, perplexités... En vérité, comme après un très violent choc, j'étais tombé dans un état semi léthargique. Quand enfin parvint à mon oreille, à travers la confuse rumeur de mon sang, un son de cloche, qui redoubla : c'est le second appel du déjeûner, pensai-je ; comment n'ai-je pas entendu le premier ? Je tirai ma montre : midi ! Aussitôt, bondissant au dehors, l'ardente lettre pressée contre mon cœur, je m'élançai tête nue sous l'averse.

Les Floche déjà s'inquiétaient après moi et quand j'arrivai tout soufflant :

— Mais vous êtes trempé ! complètement trempé, cher Monsieur ! — Puis il protestèrent que personne ne se mettrait à table que je n'eusse changé de vêtements : et dès que je fus redescendu ils questionnèrent avec sollici- tude ; je dus raconter que, retenu dans le pavillon, j'atten- dais en vain un répit de l'averse ; alors ils s'excusèrent du mauvais temps, de l'affreux état des allées, de ce que l'on avait sans doute sonné le second coup plus tôt, le premier coup moins fort qu'à l'ordinaire... Mademoiselle Verdure avait été chercher un châle dont on me supplia de cou- vrir mes épaules, parceque j'étais encore en sueur et que je risquais de prendre mal. L'abbé cependant m'observait sans mot dire, les lèvres serrées jusqu'à la grimace ; et j'étais si nerveux que, sous l'investigation de son regard, je me sentais rougir et me troubler comme un enfant fautif. Il importe pourtant de l'amadouer, pensais-je, car désor- mais je n'apprendrai rien que par lui ; lui seul peut

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