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172 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

à l'émotion de sa voix, elle joint l'émotion plastique — non de son geste (elle sait s'abstenir de gesticuler au concert) mais de son attitude, imperceptiblement modifiée. Nous la remercions de nous avoir révélé Carissimi, et aussi, une fois de plus, de s'être révélée à nous elle-même. H. G.

��LES SCENES POLOVTSIENNES DU {PRINCE IGOR, aux Concerts Colonne.

Aux Concerts Colonne une audition des Scènes Polovtsiennes du Prince Igor a ranimé pour un instant l'émotion terrible qu'en Juin nous donnait Fokine avec sa troupe d'archers. Il n'est rien dans la musique qui ressemble à ces quelques pages de Borodine. Elles viennent toucher ce qu'il y a de plus pri- mitif en nous, elles réveillent au fond de nous l'informe image de l'Asie, le souvenir étouffé de la grande mère.

L'Asie ! Non celle que nous enseigne par ses paquebots la Méditerranée et qui sent toujours l'importation. L'Asie terres- tre ! Elle s'est mise en marche à travers les steppes. Elle chemine à pied par lentes étapes. Elle s'arrête le soir et songe comme ceux qui voyagent sans retour. Le camp dressé. Des feux. Des tentes. La nuit scintille, dure et bleue. Aucune mer aussi loin qu'on se rappelle. Alors parmi le silence désert et distinct des plateaux s'élève une allégresse pleine de mémoire, une joie cadencée pareille à la consolation des plus anciens regrets. D'abord j'écoute ces flûtes tristes et jointes comme les petits pas qui conduisent à la danse ; je vois ces groupes lents qui se rapprochent dans la lueur des foyers et sous la nuit. Et soudain l'immense vague ravissante par quoi tous sont emportés, la mélodie comme une pluie violente et fragile, la mélodie qui chante avec une rapide voix. Elle croule ainsi qu'une bande d'oiseaux, elle dévide son clair bercement et les danseuses en sa déroulée sont si bien confiées, si bien perdues qu'elles rythment doucement son absence, lorsqu'un instant, comme un souvenir qu'on prend le temps de posséder, elle se

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