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146 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

la brise partout entraînait. Sans rien regarder autour d'elle, la jeune femme lentement traversa la chaussée. Un cocher qui passait lui offrit sa voiture. Elle refusa d'un signe de tête. Une sorte d'indiff"érence hautaine et glacée recouvrait son visage. Elle tenait un petit porte-carte à la main : de temps en temps, elle y jetait les yeux, une expression ambiguë se lisait alors dans son regard. Du reste, aucune impatience, aucune agitation dans ses mouvements : non- chalante et tranquille, elle n'était plus qu'une promeneuse parmi tant d'autres dans la foule qui la pressait.

Au coin de la grand'rue, comme elle faisait halte, il lui parut que quelqu'un derrière elle la hélait. En reconnais- sant le Colonel, elle n'eut point ce hérissement dont elle avait accoutumé d'accueillir l'approche du vieillard. Incliné devant elle, le chapeau à la main : "Ah ! ma toute belle ! faisait-il déjà, enfin l'on vous retrouve ! Depuis le temps que j'attends l'occasion de vous présenter mes hommages, je commençais à désespérer. "

Si familière que fût sa déférence, le colonel semblait plus cérémonieux qu'à l'ordinaire et ne prétendit se mettre au côté de l'Ombrageuse qu'elle ne l'eût au préalable autorisé à lui tenir compagnie. "Je suis ravi de vous rencontrer, poursuivit-il alors. Je n'étais point, cependant, sans quelques raisons de vous en vouloir. Oui, madame, il m'est revenu que l'autre soir, après le bal, vous vous êtes livrés à une petite fête des plus réussies. Pourquoi ne pas m'avoir fait signe ?... "

Pour s'assurer qu'il ne raillait pas, Isabelle l'interrogea du coin de l'œil. Mais le Colonel n'y entendait pas malice ; l'admiration la plus sincère et la plus vive éclatait sur son visage, qu'il tenait penché vers elle.

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